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Par Martine Liautaud

Les femmes sont extrêmement minoritaires dans les sciences fondamentales, où la proportion de chercheuses oscille entre 20 % et 30 % pour les pays les plus avancés. Le déplorer n’est pas une question de morale ou de justice, mais de simple logique : le sexe n’influençant en rien les aptitudes intellectuelles, cette disparité signifie que la science se prive du talent de près de 50% de l’humanité, ce qui abaisse mécaniquement son niveau. Alors que le savoir est notre meilleur atout face aux défis de l’avenir, remédier à cette iniquité est plus que jamais une obligation. Et ce n’est pas hors d’atteinte, même à court terme.

La question qui se pose est de savoir où passent les femmes qui avaient le potentiel pour exceller dans la recherche scientifique. La déperdition est probablement progressive, au fil des scolarités et des carrières. Beaucoup tient sans doute aux stéréotypes de la société qui, jusque dans les familles et l’esprit même des jeunes filles, leur fait délaisser très tôt des études paraissant trop masculines. Les combattre prendra forcément du temps. Cela nécessitera de dépoussiérer l’image de la science et de donner en particulier une visibilité accrue aux femmes scientifiques, à commencer par celles qui sont aujourd’hui en poste ou qui s’apprêtent à entrer dans les laboratoires. Il faut donc s’intéresser en priorité à toutes celles qui, ayant embrassé des études scientifiques, font une carrière en deçà de leurs possibilités, voire abandonnent et changent de direction. Pour celles-là, des solutions concrètes et susceptibles de changer rapidement la donne sont à portée de main des établissements scientifiques.

La première chose, toute simple et pourtant cruciale, est de mettre en place un code éthique dans les universités. Affirmer haut et fort que la mixité est une des valeurs cardinales de l’établissement, et déclarer au plus haut niveau que l’on en fait un objectif, est la pierre angulaire de toute démarche. La transparence sera alors la première manifestation, ainsi que la démonstration, de cette volonté. Effectifs, postes, rémunérations, ressources, publications… Pour progresser, l’institution doit commencer par avoir le courage de regarder en face ses carences, puis suivre au fil du temps l’évolution de ces indicateurs.

Au-delà des discours convenus, la détermination à changer que traduit la publication des données permet, dans un deuxième temps, d’aborder le sujet au sein des services. L’expérience montre que les femmes sont souvent marginalisées, moins écoutées lors des réunions, exclues des conversations, en raison de la persistance inconsciente de stéréotypes. La plupart du temps, ce sont des attitudes involontaires qu’il suffit de signaler, sans animosité ni esprit de revanche, pour les corriger. Appuyés par leur direction, les responsables peuvent lutter contre ces réflexes en les mettant en lumière, mais aussi en donnant un coup de pouce aux femmes de leurs équipes, par exemple en facilitant leur prise de parole en public. Cela peut paraître peu de choses, mais combattre la banalité du sexisme au quotidien a un impact considérable.

Ensuite, il faut accompagner ces femmes qui peuvent se sentir isolées, ne pas avoir conscience des opportunités qui pourraient s’offrir à elles ou même de leurs propres possibilités. Il ne s’agit pas de les favoriser, mais de les soutenir pour éviter qu’elles ne se découragent ou ne passent à côté de la voie dans laquelle elles excelleraient. Cet accompagnement peut prendre la forme de mentors extérieurs, capables d’apporter aide, conseils et encouragements.Mais aussi de créer une place internationale virtuelle par les grandes organisations scientifiques féminines qui permettraient aux membres, d’horizons différents de s’entraider, partager leurs expériences, s’échanger des opportunités obtenir de la visibilité…

Enfin, il faut mettre en place des programmes de développement. Alors que les femmes cultivent souvent l’expertise, vient un moment où il leur faut, pour continuer à progresser, s’emparer aussi du leadership. C’est vrai dans l’entreprise comme dans le monde scientifique où, à partir d’un certain niveau, les publications ne suffisent plus. Pour obtenir de la reconnaissance, de l’avancement et des crédits, il faut de l’entregent, une réputation, bref comprendre et maîtriser les mécanismes de l’influence et du pouvoir. Et cela s’apprend !

Simples et pratiques, ces solutions ont l’énorme avantage de ne pas remettre en cause le principe d’excellence qui fonde la science. Les scientifiques sont, pour la plupart, intègres, rationnels, respectueux des faits et humbles devant le talent. Ils seraient, dans leur immense majorité, disposés à corriger leurs biais si on les leur révélait et à faire volontiers place aux femmes qui ajouteraient de la compétence. En revanche, ils n’admettraient pas que la féminisation se fasse au détriment de l’excellence, et le moindre soupçon de favoritisme décrédibiliserait toute la démarche.

Pour féminiser la science, il faut cesser de prétendre qu’il s’agit d’un monde foncièrement masculin où seules peuvent réussir des femmes d’exception. Pas plus qu’il n’est utile d’en faire une affaire de morale, d’appeler à tout révolutionner ou d’exclure les hommes de la réflexion. Le combat doit rester celui de la diversité car c’est dans la diversité qu’est la richesse, et la diversité inclut tout le monde. C’est un combat qui se gagne au quotidien, pas à pas, non par des incantations mais par des solutions concrètes.

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